Non au démantèlement du service public: encore plus de flics, encore plus de matons
«Nous avons la bonne fortune à Zurich, dans les grèves, de voir affichés des arrêtés interdisant les piquets de grève, qui portent la signature d’un administrateur municipal socialiste; d’être empoignés par une police socialiste; poursuivis pour délit de grève par un procureur général socialiste, et condamnés pour ce délit par un juge socialiste. Nous avons le privilège, en cas de poursuite pour dette, de voir notre mobilier saisi et vendu à l’encan par un huissier socialiste.»
Fritz Brupbacher, «Le mouvement syndicaliste à Zürich» in La vie ouvrière, 1913.
Au contraire de ce que serine une large gamme d’amusants gauchistes, nous ne vivons pas le recul des services publics, mais, pourrait-on dire, leur triomphe. Leur renforcement, le refus de leur démantèlement sont désormais l’horizon incontournable de tout parti de gôche. Paré de toutes les vertus, le service public est supposé être écologique, social, égalitaire, participatif, incluant, gratuit, de qualité… Ce discours, propagé par les trotskistes, ATTAC et Cie, cache mal que ce que nombre d’«usagers» connaissent des services publics, ce sont les contrôleurs du chômage, les enquêteurs du contrôle de l’habitant, les huissiers de l’office des poursuites, les flics, les matons, les services financiers de l’hôpital, les contrôleurs CFF, etc. la liste est longue.
Le 4 décembre 1994, les électeurs genevois acceptaient la Loi sur les mesures de contrainte – autorisant la détention administrative d’étrangers – et refusaient, par le même scrutin, la privatisation du service des automobiles et de la clinique de Montana. Victoire des services publics donc. On s’étonna chez les gauchistes de ce résultat qui leur semblait contradictoire. En réalité, la volonté de contrôle accru qu’exprimaient les mesures de contrainte est, répétons-le, une composante – et non des moindres – du service public.
Il est clair d’ailleurs que la question de savoir si les tâches de contrôle sont effectuées matériellement par les flics publics ou privés n’est pas pertinente. On entendait tel chef socialiste s’offusquer grandement de ce que Securitas infiltre ATTAC Vaud. Ce qui le choquait ce n’était pas l’infiltration, mais qu’elle ait été réalisée par des privés plutôt que par des flics d’Etat. On voit par là que l’opposition public/privé n’est jamais qu’une manière d’évacuer la question des activités des services publics.
La séquence d’occupations-évacuations dont il est question dans cette brochure nous semble surtout marquée par la présence oppressante de l’Etat et de ses services publics. Certes, les propriétaires des maisons occupées étaient en majeure partie des privés, mais sans le zèle particulier des fonctionnaires de la police, sans la volonté politique de traiter les occupations comme un pur problème policier, les choses auraient été différentes.
Les seules formes d’autonomie très relative qui sont désormais concédées en ville sont encadrées par les fonctionnaires et les politiques au nom d’une double nécessité de contrôle et d’aide sociale. Face à cette situation, la seule forme de lutte légitime semble être de se battre pour être accrédité comme partenaire des processus participatifs. Ainsi, une perspective, discutée notamment par les Mal-logés, pour en finir avec le système capitaliste de production de logement est la municipalisation du sol. Mais mener une lutte pour la municipalisation du sol n’a de sens que si on compte prendre le pouvoir, ou du moins une part significative du pouvoir, sur les structures institutionnelles qui composent la municipalité. On pourrait multiplier les exemples: recevoir une subvention, s’est s’obliger à terme à prendre part aux structures institutionnelles et administratives pour s’assurer qu’on puisse continuer à la recevoir, etc.
Il ne s’agit pas ici de jouer aux plus purs, aux incorruptibles. Tout le fric, tous les terrains, toutes les maisons qu’on peut avoir de l’Etat en offrant le moins de prise à ses contraintes, en réussissant à les contourner sont bons à prendre. Ce que nous voulons dire, c’est d’une part que l’Etat n’est pas la faible chose qu’on nous présente à longueur de Monde diplomatique et d’autre part que la séparation entre l’Etat qui réprime et contrôle et l’Etat qui aide est parfaitement artificielle. Rien de bien nouveau donc, mais rien qu’il faille oublier au moment de se demander comment ça continue.
INTERSQUAT