LES GRENOUILLES DE LA «PAIX DU LOGEMENT»
Le mouvement social se porte bien à Genève. La fédération des associations a son strapontin à l’assemblée constituante, où elle est aux premières loges pour assister à la résurrection des vieillards staliniens. Grâce à une organisation et une communication sans failles, la mobilisation populaire a également eu la peau de la fumée passive et des chiens dangereux. Camarades, la victoire est à nos portes, il suffit de choisir la cause, et de dire ce que les médias veulent entendre. Les partis politiques l’ont bien compris eux aussi, des délires sécuritaires socialistes à la verte promotion des fonds spéculatifs pour tenter de sauver l’écosystème inestimable des îles Caïmans…
Les conditions de vie, de logement, de travail ou d’études n’intéressent plus que les quelques égarées antédiluviennes qui n’ont pas encore compris que le temps des idéologies était terminé, qu’elles n’avaient qu’à se mettre au boulot dans leur coin et à consommer responsable pour faire le bonheur de leur patronne et de leur proprio, faire carrière et devenir de bonnes citoyennes qui seront récompensées, dans ce bas monde ou dans l’autre. De préférence dans l’autre, c’est moins cher et ça risque pas de nuire à la planète.
Matraquer tout ce qui ressemble pas à un bourgeois blanc pas trop jeune, ça a aussi des vertus pédagogiques… Il semble qu’il n’y ait plus que la flicaille et le gang légalisé qui lui sert de syndicat pour qui les mots «rapport de force» aient encore un sens. Les flics sont ainsi les seuls rescapés du mouvement des fonctionnaires de 2004, l’une des seules mobilisations d’envergure de cette décennie.
Le foisonnement autour du logement en a été une autre: résistance aux évacuations, fêtes sauvages, assemblée des mal-logés, affichages de témoignages sur les murs propres, brochures diverses, etc. La série d’occupations d’immeubles et de maisons entre 2007 et 2008 représente la phase offensive de ce mouvement, et a obtenu le soutien de nombreuses personnes présentes devant des maisons vides qui ne l’étaient plus. Si la campagne de dénigrement massive dont elle a été l’objet dans la quasi-totalité de la presse (quand ce n’était pas de l’indifférence), la démission totale de tous les partis politiques et de leurs émanations associatives, et la répression policière et judiciaire portée par leurs élus n’ont pas réussi à stopper net les occupations, elles sont bel et bien parvenues à briser le mouvement.
La vague est retombée, et l’absence de projet touche toutes les composantes du mouvement. Les occupations se font de plus en plus rares et en catimini. L’assemblée des Mal-logés est devenu un groupe de spécialistes parmi d’autres et a perdu son ambition première de devenir un mouvement de masse autour du logement. La SURVAP (association des habitants des Pâquis) délire tranquillement dans un univers parallèle, et fait la promotion de la police de proximité dans une initiative citoyenne pour bobos qui veulent un quartier vivant, mais avec couvre-feu à 22 h 17, faut pas déconner non plus, il y a école demain. Les dépositaires de la marque Rhino se battent à l’ONU pour la reconnaissance du droit au logement, comme si ça servait à autre chose qu’à la production d’un rapport supplémentaire. Enfin, la disparition des soutiens populaires et anonymes, présents en nombre lors des évacuations et occupations de 2007, est peut-être le signe le plus tangible de la fin du mouvement.
La cause est simple et assénée par les politiques et les journalistes: l’éloignement politique et le manque de communication qui entoureraient ces deux dernières années d’actions d’Intersquat. Si ce discours n’étonne pas dans la bouche des crapules, il est pénible d’entendre aujourd’hui les groupes ayant pris part à ce mouvement relayer la même rengaine. Non seulement c’est trop vite oublier que les Mal-logés résultaient d’un désir d’élargissement, c’est oublier également le caractère public de la plupart des occupations et des tentatives, soit dans leur forme même (le grand rallye à vélo qui devait amener à l’occupation des Falaises, ou le concert de Kenny Arkana), soit au travers des fêtes qui étaient organisés les soirs mêmes (Dalcroze, Saint-Jean, Coulouvrenière, Intercontinental). Ajoutée à cela, la diffusion à chaque occasion de communiqués de presse, très inégalement relayés par les médias, mais toujours disponibles sur les lieux d’occupation ou sur Internet.
C’est oublier encore les multiples tentatives pour élargir nos horizons et nos champs de luttes, en invitant des grévistes de la Boillat, en organisant des cantine sauvage, en participant à la grève des maçons, en proposant des soupes sur des lieux de mobilisation ou en distribuant tracts et brochures à toute occasion. Imputer le manque de soutien général de la population au manque d’effort et de volonté d’Intersquat, c’est véritablement poser ses deux mains par dessus ses propres oeillères, et refuser de voir que, sur la question du logement, tout est à reconstruire.
La critique de l’éloignement des squatteuses des «véritables» préoccupations de la population manque cruellement de pertinence. Elle occulte le contexte genevois de ces dix dernières années, caractérisé par la quasi absence de luttes sociales. On ne peut pas imputer aux squatteuses la responsabilité de l’apathie généralisée. Cela revient à faire le jeu des partis, syndicats et associations qui ont définitivement abandonné toute perspective politique, et entretiennent de ce fait la passivité, en percevant parallèlement leur rente de situation et en se partageant postes et subventions. «La politique est l’art d’obtenir de l’argent des riches et des suffrages des pauvres, sous prétexte de les protéger les uns des autres.» (Jules Michelet) On n’entrera pas dans ce jeu-là. Et si les flics devaient devenir les seuls à avoir le pouvoir de se mobiliser et de faire plier le gouvernement, ce ne sera ni avec nous, ni grâce à nous. Puissent les c… en tout genre qui grenouillent à propos d’un accord scellant la « paix du logement « en prendre acte. I
* La fin du cochon, c’est le début de la saucisse, disponible – entre autres documents sur les squats – à l’infokiosque (les ma. de 16h à 20h, à la Buvette de l’Ilôt 13, au 14, rue de Montbrillant). Lire également Le Courrier du 27 avril.
Une soirée de soutien à Intersquat est programmée à la Buvette de l’Illôt 13 samedi 30 mai: dès 20 h, concert de Mossuraya & co, disco.
* La fin du cochon, c’est le début de la saucisse, disponible – entre autres documents sur les squats – à l’infokiosque (les ma. de 16h à 20h, à la Buvette de l’Ilôt 13, au 14, rue de Montbrillant). Lire également Le Courrier du 27 avril.
Une soirée de soutien à Intersquat est programmée à la Buvette de l’Illôt 13 samedi 30 mai: dès 20 h, concert de Mossuraya & co, disco.