Vivre avec ses ours
Un jour, alors que je croyais être un homme, peut-être parce que j’avais quelques poils au menton, une amie et une voiture, j’ai commis l’irréparable!
Honteusement, et lâchement, j’ai jeté l’ours de mon enfance dans un grand sac à ordures. Pauvre petit, lui que j’avais dû serrer dans mes bras, lui qui avait écouté ma tristesse et mes secrets et qui m’avait rassuré lors de mes nuits agitées, je lui ai offert le feu de l’enfer! Je l’aimais bien pourtant, ce petit être de paille aux yeux de verre, un peu râpé, à qui j’avais tricoté avec fierté une écharpe bleue pour qu’il n’ait pas froid, tandis que maman lui avait confectionné une jolie petite culotte.
Je n’ai plus pensé à ma petite victime jusqu’à la naissance de mes filles. Tendresse oblige, les ursidés et autres peluches, doux à souhait, ont fait leur réapparition: histoires de nounours, «Histoire d’une petite souris qui était enfermée dans un livre», aventures de «Peter rabbit» (Pierre Lapin) de Beatrix Potter et tant d’autres histoires lues le soir avant que les petites ne s’endorment, l’aînée serrant son lapin dans ses bras, la cadette, son ours blanc.
Et puis, et puis… De l’adulte divorcé que j’étais devenu, je suis retombé dans le monde de l’enfance le jour où mon amie m’a rendu jaloux en me proposant une rencontre. Déjà j’imaginais un rival lorsqu’elle a sorti de son sac à dos «Chilpruff», son compagnon de voyage, petit ourson écossais pas plus grand qu’une main, complètement déformé à force d’avoir été écrasé, tel un vulgaire objet, dans le sac à dos au cours de quelques pérégrinations à travers le monde.
Désormais, et il a bien fallu que je m’y fasse, les présentations faites, Chilpruff dormait avec nous! Oh! il n’était pas tellement encombrant. Mais voici que Noël arrivé, une fois coupés les rubans d’un emballage mystérieux, je me suis trouvé face à un ours qui m’était destiné, «mon» ours!
Les femmes ont parfois de bien curieuses idées, me semble-t-il; une autre compagne m’offrit elle aussi un petit «Teddy» et une troisième, «Balou», un ours blanc!
Aujourd’hui, après m’être demandé d’où m’est venue cette tendresse pour ces peluches-là, je crois comprendre que, un peu comme tout ce qui nous habite, nos visites à «La fosse aux ours» à Berne alors que j’étais enfant y sont certainement pour quelque chose, de même que la vitrine «Caran-d’Ache» de la gare Cornavin devant laquelle, en famille, nous ne manquions jamais de nous arrêter pour observer des ours présentant des crayons.
Il y a aussi cette histoire que j’aimais entendre de mon père qui, gamin en culottes courtes j’imagine, avait attaché son ours à un parachute confectionné avec du papier de soie. Mais, avec le vent, l’ours s’est envolé, poursuivi par le gamin sur son vélo jusqu’au lac, où l’ours a péri noyé…
Aussi curieux que cela puisse paraître, je vis toujours avec mes ours qui me tiennent chaud durant la nuit, et à qui je confie, sans jamais recevoir de réponse, quelques-uns de mes chagrins…
Evidemment, je pense parfois qu’il serait plus gratifiant d’avoir un animal de compagnie ou une amie, même si trop souvent l’on doit faire euthanasier avec chagrin son animal préféré, ou bien supporter les pieds glacés de sa chère compagne!
Alors, en attendant la femme idéale, un brin compréhensive, généreuse de coeur et aux pieds chauds, il ne me reste qu’à continuer à choyer mes petits compagnons.
PIERRE-ANDRÉ/AE (PRINTEMPS 2008)