Écologie

UN COMBAT MONDIAL POUR L’ÉQUITÉ ET L’ÉQUILIBRE

DÉVELOPPEMENT DURABLE – Loin d’être une notion molle, le développement durable vise à répondre à la fois à l’urgence sociale et à l’urgence environnementale, plaide René Longet.

Dans le monde, 2,4 milliards d’humains se trouvent privés d’infrastructures sanitaires, 2 milliards n’ont pas d’électricité, 1,1 milliard pas d’eau de qualité potable et un milliard pas de logement correct. 880 millions d’individus demeurent sans accès à des services de santé et 850 millions sont insuffisamment nourris. Un enfant sur quatre dans le monde ne va pas à l’école. 855 millions de personnes de plus de quinze ans sont analphabètes. 2,7 milliards d’êtres humains vivent avec moins de 2 dollars par jour, dont 1,1 milliard qui doivent se contenter de 1 dollar…Ces chiffres largement connus expriment autant de besoins criants. Dans ces conditions, nier le développement semble bien présomptueux. Mais ce ne peut pas être n’importe quel développement. En effet, la Terre ne peut donner que ce qu’elle a. Le changement climatique menace les équilibres écologiques et économiques sur une vaste échelle. Les océans sont pollués et victimes de surexploitation. Un tiers de la population mondiale vit dans des pays où la consommation d’eau dépasse les ressources disponibles. Plus de mille espèces de mammifères (soit le quart de l’effectif total) et d’oiseaux (soit 12%) sont menacées de disparition, certaines ont déjà été rayées de la carte.

Entre 1970 et aujourd’hui, la surface boisée moyenne pour 1000 habitants est passée de 11,4 km2 à 7,3 km2. Le phénomène est particulièrement grave dans les zones tropicales, dont les forêts recèlent une biodiversité très importante. Lessivé par les pluies, le sol mis à nu finit dans les fleuves et les estuaires, ce qui en reste se transforme en terre cuite à la saison sèche.

La désertification – ou plutôt la dégradation progressive des régions arides – touche un sixième de la population mondiale. 250 millions de personnes vivent sur des sols dégradés; la moitié de la surface de l’Afrique est concernée. Les ressources minérales et énergétiques non renouvelables sont dilapidées à grande vitesse, épuisant inéluctablement les réserves.
Si l’on voulait généraliser ce mode de prédation, il nous faudrait cinq planètes, d’autant plus que de considérables inégalités marquent la consommation: avec 4% de la population de la planète, 25% des émissions mondiales sont le fait des Etats-Unis: la consommation d’énergie par habitant y est le double de celle des Européens et le quintuple de la moyenne mondiale. Ainsi, si entre 1950 et 2000, la consommation d’énergie fossile s’est multipliée par cinq, et les émissions de CO2 par quatre, ces émissions sont très inégalement réparties: 20 tonnes par an et par personne aux Etats-Unis, 10 en Allemagne, 5 au Brésil, 4 en Chine, 2 en Inde, bien moins en Afrique et dans les pays les moins avancés, avec une moyenne mondiale autour de 4 tonnes/an/personne.

Quant au changement climatique qui en résulte, il touche d’abord ceux qui n’en sont pas responsables: les pays du Sud. Pour éviter que le climat dérape, d’ici l’an 2050, la quantité annuelle de CO2 émise sur Terre ne devrait pas dépasser 10 milliards de tonnes, ce qui, pour une population humaine estimée alors à quelque 10 milliards, fait une tonne par an et par personne… On le voit d’emblée: le modèle social fondé sur la croissance matérielle continue ne tient pas la route, et le partage de ressources par définition limitées devient inéluctable.
développement, l’éducation au développement durable, les préférences douanières…

La dimension politique du développement durable est évidente. Elle concrétise des valeurs de solidarité et conteste fondamentalement le laisser-faire. Les Bush et les Berlusconi n’y voient aucun intérêt, alors que les forces politiques du centre et de la gauche y sont généralement plus ouvertes, en raison même de leurs sensibilités économiques et sociales. Le développement durable exprime en effet une double solidarité, dans l’espace et le temps: avec tous les humains vivant aujourd’hui sur Terre, et les générations à venir «auxquelles nous empruntons notre planète», selon la célèbre formule attribuée à Saint-Exupéry.

La notion de développement durable vise ainsi à répondre de manière cohérente, tant géographiquement que conceptuellement, à la fois à l’urgence sociale et à l’urgence environnementale. Elle exige que le développement économique prenne en compte ces deux impératifs actuellement négligés que sont les besoins des plus démunis et les exigences écologiques. L’exploitation de l’homme par l’homme et la surexploitation de la nature vont souvent de pair.

Dans ce contexte, certaines notions se révèlent essentielles. Comme l’internalisation des coûts sociaux. Un cas exemplaire est le commerce équitable, par lequel le marché prend en compte les coûts actuellement négligés du facteur travail et du facteur nature. On cherche aussi par des taxes sur le CO2 à anticiper les montées du prix des énergies fossiles, et à éviter le renforcement des inégalités dues aux soubresauts énergétiques.

La notion d’empreinte écologique est également à intégrer. Elle mesure notre consommation des ressources sur un territoire. Pour être conformes aux exigences d’un développement supportable, nous devrions réduire notre consommation de ressources non renouvelables d’un facteur 3 à 7 d’ici 2050. Ceci est tout à fait faisable, vu les meilleures performances énergétiques actuelles tant des véhicules que des bâtiments.

La notion d’écologie industrielle, qui consiste à passer d’une économie linéaire à une économie en boucle, doit aussi être prise en compte. Considérer, comme le fait le paradigme économique dominant, que les capacités de production et de digestion de la nature sont illimitées est une erreur fatale. L’économie de la nature est tout entière inscrite dans le recyclage permanent des matières. Les ressources non renouvelables doivent impérativement être mieux utilisées (cas des énergies fossiles) et faire l’objet d’un recyclage minutieux (cas des métaux); quant aux ressources renouvelables, elles ne le sont pas à n’importe quelles conditions.

Enfin, la notion de besoins humains nous conduit à aller vers l’économie de l’immatériel, donc à situer le développement futur de l’humanité ailleurs que dans un consumérisme sans limite.
En fait, dans tous les secteurs – l’alimentaire, le bâtiment, le tourisme, la mobilité, l’habillement, les finances, la foresterie, les pêcheries, etc. – des standards de développement durable se codifient, des techniques «durables» existent, associant respect des travailleurs et des ressources naturelles, tant dans leur production que dans leur utilisation, et qualité pour le consommateur.

Ainsi, contrairement à ce que d’aucuns affirment sans connaître, le développement durable n’est ni une notion molle, ni une notion à bien plaire. Certes elle est à la mode, et tant mieux, certes beaucoup s’en réclament sans s’y conformer suffisamment. Mais tout en étant critiques à leur égard, il faut admettre que les contradictions des entreprises sont souvent aussi les nôtres et celles des consommateurs en général. La durabilité est un combat, la réorientation de l’économie aussi, et déjà contre nos habitudes. Mettre constamment la faute sur les autres nous prive du plaisir de mettre la main à la pâte. Soyons donc exigeants, mais pas pharisiens; chaque avancée est bonne à prendre.

En plaçant l’avoir avant l’être, l’homo oeconomicus occidentalis fait fausse route. Il s’inflige un programme contre-nature et qui, de plus, comporte de graves atteintes à la planète, la seule que nous ayons. Il est temps de faire le lien entre notre propre équilibre et celui de notre Terre. De nombreuses solutions existent, à chacun-e de nous de les faire vivre.

Opinions Société Écologie Contrechamp René Longet

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