Sara et Nicolas doivent disparaître
Sara et Nicolas ont entre vingt-cinq et trente ans et sont arrivés de Biélorussie (République du Bélarus) il y a environ quatre ans. Ils ont fui leur pays après que Nicolas a été persécuté par l’Etat et mis en prison, Sara gravement blessée, leur appartement fouillé et pillé, leurs papiers volés. Ils ont décidé de fuir un régime qui pouvait enfermer Nicolas pendant vingt ans comme «opposant au gouvernement», car alors, comme le témoigne Sara, «tu oublies ta vie, ta famille. C’est pourquoi je ne veux pas rentrer, j’ai peur de rentrer, je sais très bien ce qui m’attend: pour Nicolas la prison et pour moi, je ne sais pas, s’il est en prison je ne suis même pas sûre qu’ils ne vont pas le tuer.»
S’imaginant trouver une vie en Suisse, ils ont fait l’expérience du contraire : le démantèlement de leur espoir par une double décision négative motivée par le manque de papiers, le soupçon du mensonge et bien évidemment l’abus de l’«hospitalité» bien helvétique. Voilà donc encore de «faux réfugié-e-s»! C’est pourquoi Sara et Nicolas doivent disparaître. Pour cela, on commence par leur retirer le permis N et leur donner une simple feuille – qui doit être renouvelée au Service de la population chaque semaine – indiquant qu’ils sont à l’aide d’urgence. Administrativement, Sara et Nicolas cessent d’exister: rayé du contrôle des habitants, le couple n’est nulle part, Sara et Nicolas ne sont rien.
En plus de la violence symbolique que représente une telle disparition administrative, on crée pour ces personnes, de même que pour les victimes de non-entrée en matière (NEM), des conditions inhumaines de vie. Maintenant que Sara et Nicolas doivent partir dans un centre, c’est le vide, l’incertitude totale:
«Nous ne savons pas quoi faire à propos de notre futur, on ne sait pas ce qui va se passer, c’est dur, on ne dort pas (…). Nous avons très peu d’informations, il y a deux semaines nous avons reçu cette lettre qui dit que nous devons déménager. On nous a dit que nous ne pouvons emmener que des livres, des habits, des disques, pas de télévision, pas de radio, pas d’assiettes, rien pour la cuisine, pas de jeux, rien, on ne peut rien emporter. Mais nous avons beaucoup de choses, et la plupart des choses ce sont des cadeaux que des ami-e-s nous ont faits pour nos anniversaires: la télévision, le lecteur DVD… maintenant qu’est-ce qu’on fait avec ça?
«Nous devons aussi continuer de nous informer, nous devons voir la télévision, écouter la radio, les informations, sur notre pays, sur le monde, mais on ne peut rien prendre avec nous. Là-bas on n’aura pas d’argent, ils nous donneront à manger. (…) Mais chaque mois, les femmes, nous avons nos règles, et sans argent comment fait-on? Ils doivent nous donner l’argent pour cela! J’espère! Dans le centre il n’y a pas non plus de médecins, nous n’aurons plus d’assurance-maladie, nous aurons droit aux médicaments que le centre voudra bien nous donner, mais moi par exemple, j’ai un patch anticonceptionnel, maintenant je vais faire comment sans argent? Cela veut dire que toutes les personnes qui sont en couple vont avoir des enfants? Je ne crois pas que le gouvernement ait envie de cela!
«Il y a des jours, je vais dans ma cuisine, dans ma salle de bain, je regarde, je me dis: mon dieu, comment je vais faire sans cela, comment je vais vivre sans ceci? Je me sens terriblement mal, je ne sais pas ce que je vais faire avec mes choses, je ne sais pas quoi penser, je n’arrive pas à y croire!»
«Quand Nicolas voit la police, il a très peur, cela lui rappelle son histoire, et dans le centre, il y aura des agents de sécurité tout le temps, ça le rend très nerveux, il a l’impression que ce sera comme en prison, en fait ce sera comme en prison! Il y aura des agents partout, ils demanderont où on va à chaque fois qu’on sort, pour combien de temps on part, et quand on rentre on devra dire d’où on vient, et si on ne rentre pas pendant deux nuits, on sera considéré comme des clandestins. (…) Ici c’est pas pareil, ici c’est tranquille, on peut se relaxer, c’est notre aire, notre territoire, ici tu as un appartement, dans le centre tu as une chambre, mais tu as les agents de sécurité partout et à tout moment ils peuvent entrer, c’est pas à toi. J’aime cette ville où je vis maintenant, parce que j’y ai un appartement, je suis ici dans ma maison, c’est à moi, je peux toucher [elle touche le canapé], et les ami-e-s peuvent venir nous voir, on peut parler, manger ensemble.
«Je ne sais pas comment penser à demain, après-demain. C’est déjà difficile d’être là assise chez soi à rien faire, si au moins on pouvait travailler (…), rester à la maison c’est pénible, on a envie de faire quelque chose, quelque chose de bien. On ne fait que manger, dormir, prendre la douche, on ne fait que des choses pour le corps, bien sûr nous lisons, nous voyons des gens, mais c’est pas assez motivant. J’aime faire des choses, avant j’allais à l’école, au travail, maintenant j’ai vingt-six ans, je suis jeune, pleine de force, et je ne fais rien. Dans le centre je n’arrive même pas à imaginer: juste les livres, les disques, pas d’argent pour acheter le journal, ne pas pouvoir aller dans les magasins, ne pas pouvoir aller voir des ami-e-s parce que je n’aurai pas d’argent pour le bus ou le train, je ne sais pas comment ça va être, mais je verrai là-bas, je vais trouver une solution pour notre futur.»
PROPOS RECUEILLIS PAR S. MASSON