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«PAPIERS» CONTRE CLÉ DE CHAMBRE

ASILE – Le déménagement forcé vers les centres d’aides d’urgence est le lot des requérants d’asile déboutés. Sociologue et membre de SOS asile-Vaud, Sabine Masson témoigne d’un cas de transfert au centre de Vevey1.

Le jour de ses vingt-six ans, un camion de l’EVAM (Etablissement vaudois d’accueil des migrants, anciennement Fareas) a emporté Sara*, ainsi que son époux Nicolas*, vers un futur muré, dans un centre d’aide d’urgence. Ce triste destin attend 800 requérant-e-s débouté-e-s dans le canton de Vaud. Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur l’asile (LAsi) depuis le 1er janvier 2008, ces personnes n’ont plus droit qu’à l’aide d’urgence et sont contraintes de quitter leur appartement.
Sara et Nicolas, en tant que couple sans enfant, ne touchent plus aucun argent, uniquement de l’aide en nature (nourriture, lit). Ils ont dû tout abandonner, tout ce qui représente un bout de vie digne: un espace à soi et des affaires personnelles, un lieu de répit, d’amitiés, de voisinage, d’intimité. Cette situation est le produit d’une politique non pas d’asile mais de dissuasion et de «chasse aux abus» s’apparentant à une politique de terreur, entretenant la violence psychologique et le traitement dégradant d’êtres humains, et dont le but ultime est de se débarrasser des gens. (…)

L’«exception vaudoise» est un mythe. Si des personnes ne sont pas expulsées de Suisse malgré différents refus d’asile, c’est parce que le gouvernement n’arrive pas à les expulser. A la place, on pourrit donc la vie de centaines de personnes, tout en les faisant disparaître administrativement. Une telle politique permet d’abord de faire diminuer le nombre officiel des requérant-e-s d’asile. De plus, par le pourrissement de la vie de ces personnes, on facilite leur départ «spontané» du territoire suisse. Enfin, si elles ne partent pas, elles risquent fort de venir grossir les rangs des travailleurs-euses au noir… «tout le monde y gagne», non?

J’ai accompagné, avec deux personnes de la Coordination Asile-Lausanne et de la Coordination Asile-Nord vaudois, le déménagement forcé de Sara et Nicolas. «Drôle» de détail, la personne chargée de déménager leurs affaires était un Kosovar ayant lui-même attendu dix ans pour avoir un permis… Une histoire probablement pas étrangère au fait que cette personne a eu une attitude empathique et respectueuse au cours du déménagement.

Il en a été autrement une fois arrivé-e-s au centre d’aide d’urgence de Vevey. D’abord nous constatons le caractère anonyme et carcéral du lieu. Aucune indication ne renseigne sur le centre situé au deuxième étage d’un immeuble et blindé derrière une porte constamment verrouillée. Une agente de sécurité nous ouvre et arrête immédiatement Sara qui, dans son élan, s’est engouffrée avec ses affaires. Avant de les emporter dans sa chambre, tout doit être passé au peigne fin. Les agent-e-s, plutôt aimables, appliquent un règlement qui, lui, l’est nettement moins: une seule armoire doit contenir l’intégralité des affaires, rien ne peut «traîner» dehors, seule une valise sous le lit est tolérée. Il faut donc à nouveau procéder au tri pour arriver au strict nécessaire dans l’immédiat: «pas besoin d’habits d’été, nous dit la responsable, puisqu’on est en hiver. Ce lieu est transitoire nous rappelle-elle, les requérant-e-s ne doivent pas s’installer et l’aide d’urgence n’est pas un projet de vie.»

On l’avait compris. D’ailleurs, est-ce une vie? A chaque entrée, les requérant-e-s sont fouillé-e-s, à chaque sortie leurs «papiers» (la décision d’octroi d’aide d’urgence) sont restitués en échange de leur clé de chambre. Celle-ci est moins dotée qu’une cellule. Pas de table, ni chaise. Pourquoi, demande-t-on? Réponse, le règlement. Les visites «peuvent être autorisées», mais sont conditionnées à la présentation d’une identité valable, éventuellement d’une fouille, et doivent être annoncées 48 h à l’avance. «L’accès aux espaces privatifs est interdit.»

Tout cela nous est présenté par la responsable comme un état de fait «pas facile, c’est vrai, mais supportable quand même». On banalise le mal. Traiter des personnes ayant demandé l’asile comme des sous-humains est normal. On dépersonnalise aussi: «c’est le règlement, c’est l’aide d’urgence». Toute comparaison gardée, les systèmes totalitaires, comme l’a montré Hannah Arendt, fonctionnent sur ce même principe de la «banalisation du mal» et de rationalisation de la déshumanisation. Jusqu’où la politique «d’asile» en Suisse ira-t-elle? I

1Ce témoignage a été diffusé dans le cadre des 2e Etats généraux vaudois pour les droits des migrants et contre le racisme, qui se sont tenus le 23 février à Lausanne.

* pseudonymes.

Opinions Contrechamp Sabine Masson

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